Dominique Gajas, urbaniste, aménageur public (1938-2025)
A son image, dans la discrétion et l’élégance sereine, Dominique Gajas est parti, il y a quelques jours de cela, au cœur de l’été aixois.
Si elle a rarement fait la « Une » de l’actualité locale, sa vie entière fut pourtant constamment dédiée à sa ville d’Aix-en-Provence qu’il a contribué à métamorphoser au cours des six dernières décennies.
So Corsù, ne so fierù, profondément attaché à ses racines insulaires, Dominique Gajas fait néanmoins ses études de Droit et d’Economie à Aix-en-Provence au tournant des années 60. Sa passion pour Aix ne se démentira pas.
A la faveur d’une première embauche, il entre en 1963 dans les effectifs, confidentiels, de la société d’économie mixte d’aménagement et d’équipement que la ville d’Aix-en-Provence vient de créer deux ans plus tôt. La SEMEVA compte alors 4 salariés, installés dans un petit appartement du Boulevard de la République, pour mener une mission publique stratégique : donner de la cohérence et reprendre en main l’évolution urbaine d’une ville en plein réveil. Aix-en-Provence ne compte encore que 75 000 habitants, mais certains programmes immobiliers privés ou sociaux sont alors engagés au gré des opportunités, sans qu’ils s’inscrivent dans un développement urbain harmonieux.
Le Maire en place, Henri Mouret, souhaite réguler cette évolution tout en répondant à l’urgence du logement, au défi de l’habitat précaire, au boom démographique d’après-guerre et à l’arrivée de nombreux rapatriés d’Afrique du Nord.
Dans cette logique, il charge la nouvelle structure de conduire les études liées au Plan de développement urbain de la ville et de mettre en œuvre les travaux d’aménagement d’une future « Zone à Urbaniser en Priorité » au sud du centre-ville, à Encagnane. C’est un nouveau quartier qui va naître, ex nihilo, selon le plan-masse établi par l’un des grands urbanistes français, Raymond Lopez, puis par son successeur Henri Longepierre.
Avec lui et après avoir pris la direction de la SEMEVA en cette fin des années 60, Dominique Gajas va constituer un tandem redoutablement efficace, apprécié pour son pragmatisme et son respect des souhaits, parfois évolutifs, des exécutifs municipaux et publics. Une fois achevé le quartier d’Encagnane, Gajas et Longepierre mèneront à bien l’opération urbaine majeure du Jas de Bouffan sur 190 hectares, avec plus de 6000 logements livrés en quinze ans de réalisation, ainsi par la suite que ses extensions des Deux Ormes, Grande Thumine, Brédasque et Ravanas.
Durant les décennies 70 et 80, Dominique Gajas n’aura de cesse de doter la SEM aixoise des moyens économiques et humains pour mener les projets publics qui lui sont confiés. Avec patience et rigueur, sans jamais rien laisser au hasard, il complète les expertises, anticipe et diversifie les interventions de la SEMEVA dans la construction, le stationnement et les politiques de centre-ville.
Au côté des maires successifs de la commune, assurant la continuité de la vision urbaine publique, Dominique Gajas change le visage même d’une ville qui va bientôt compter 150 000 habitants et la plus forte attractivité régionale.
Ecarté quelques années de la direction de la SEM lors d’un changement d’équipe municipale et à la veille de la réalisation de l’emblématique opération urbaine Sextius-Mirabeau destinée à transformer 20 hectares de friches industrielles aux portes du centre historique d’Aix, Dominique Gajas supporte mal l’injustice qui lui est faite. Il accompagne alors, à la fin des années 90, d’autres projets immobiliers et d’aménagement, souvent dans d’autres villes, mais conserve à Aix une part vigilante de son attention.
En 2001, Maryse Joissains Masini, fraîchement élue à la tête de la ville, le rappelle au chevet de la SEMEVA, devenue SEMEPA. La structure est en danger, d’autant que Sextius-Mirabeau, son opération d’aménagement majeure, est fragilisée économiquement et contestée dans ses partis-pris urbanistiques.
Avec Henri Doglione, Dominique Gajas va pourtant redonner un nouvel élan à la SEM aixoise, sauver et transformer l’opération Sextius-Mirabeau.
Dans le respect d’un urbanisme aixois vecteur historique d’un certain cadre de vie fait de mesure, de convivialité et d’harmonie, mais aussi avec le souci constant de l’efficacité, de la qualité et de l’innovation, Dominique Gajas déploie ses qualités de visionnaire au service de l’attractivité de sa ville.
Au-delà même du quartier Sextius-Mirabeau, réussite urbaine incontestable pour laquelle il a su trouver l’appui d’innombrables talents d’architectes, ingénieurs, paysagistes, techniciens et professionnels de l’immobilier, de très nombreux projets portent sa marque : des secteurs Saint-Jean et Malouesse à Luynes, aux quartiers aixois Forbin et Sextius-Europe, des Allées provençales à l’écoquartier de L’Héritière à Ventabren, mais aussi de nombreuses zones d’activités et la réussite des projets de l’Hôtel de Caumont, de la requalification du secteur Rotonde, du Conservatoire de Musique, de l’Office de Tourisme ou de son cher Stade Maurice David. Toutes les grandes évolutions urbaines d’Aix-en-Provence au cours des dernières décennies portent sa marque !
Sur chaque dossier, le souci du moindre détail prévaut. Dominique Gajas challenge ses équipes, leur demande de ne jamais réduire l’aménagement urbain aux seuls grands équilibres et principes. C’est ainsi lui qui insiste pour orienter les opérations vers l’humain, l’usage, le fonctionnel, la proximité, la qualité de vie : ici, on implantera des fontaines contemporaines, là un théâtre de verdure, de vastes espaces verts et des parcs, des espaces piétons souvent dallés, et des jeux d’enfants, de la pierre de taille en façade, du mobilier urbain qualitatif. Aix lui doit, pour une large part, de l’avoir préservée de grands ensembles sans âme, du béton déshumanisé et de sous-équipements faute de moyens.
La saine gestion des opérations qu’il a conduites, toujours bénéficiaires pour les collectivités lors de leur achèvement (ce qui dans d’autres villes se révèle souvent exceptionnel), aura permis de financer, sans contribution du contribuable, des espaces publics et des équipements au-delà des engagements d’origine et même le plus grand Mur d’eau urbain d’Europe signé Christian Ghion, en signature finale de l’opération Sextius-Mirabeau…
Homme d’enracinement et de grande culture, il a également inscrit pour la première fois en France une entreprise publique locale dans la systématisation de l’archéologie préventive à toute opération, 15 ans avant la Loi de 2001 ! Il souhaitera faire de même pour la paléontologie préventive qui, à ce jour, ne bénéficie pas du même cadre légal de protection. Dominique Gajas aimait aussi pouvoir s’appuyer sur les expertises patrimoniales, historiques et artistiques, de même que sur le travail d’écologues pour offrir, au-delà du réglementaire, un supplément d’âme aux projets urbains qu’il menait et préserver pour les générations futures les trésors hérités du passé.
Le temps a passé. Les grandes opérations urbaines qu’il a conduites sont aujourd’hui reconnues, bien au-delà de la Provence. Ainsi le quartier d’Encagnane est en cours de labellisation «Architecture contemporaine remarquable», le Jas de Bouffan, est souvent décrit comme l’une des «plus belles ZAC de France», Sextius-Mirabeau a remporté plusieurs distinctions et parfaitement réussi la difficile coûture entre quartiers historiques et contemporains, au point de servir d’exemple à de nombreuses villes d’Europe et au-delà.
Il y a quelques semaines, l’esprit toujours vif sur son lit de douleur, sans qu’il n’ait jamais demandé le moindre honneur sa vie durant, Dominique Gajas a reçu du Maire d’Aix-en-Provence, Sophie Joissains, la Médaille de la Ville, en témoignage de la reconnaissance de la cité pour son inlassable et si précieux engagement.
Homme de cœur et de valeurs, de fidélité et d’amitié, très exigeant pour les autres mais plus encore pour lui-même, forçant le respect dans sa résilience face à une maladie avec laquelle il a vécu durant de longues années, discret toujours mais jamais au repos, profondément humain, généreux et attentif aux autres, Dominique Gajas a fait la SEMEPA, transformé la ville d’Aix-en-Provence et incarné un sens aigu du devoir, des responsabilités et de l’intérêt général.
DB.